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mardi 22 juillet 2008

LES PREUVES DE L’ÉVOLUTION

Depuis Jean-Baptiste de Lamarck (1809), de plus en plus de scientifiques sont convaincus que l’évolution du monde vivant est un fait, c’est-à-dire que la vie a une histoire. Il n’y a aujourd’hui aucun biologiste raisonnable qui croit que la vie n’a pas d’histoire, c’est-à-dire que les espèces auraient été créées instantanément par une intervention surnaturelle. Essence du fait de l’évolution est que la vie a émergé imperceptiblement à partir de la matière non vivante et que, par la suite, les espèces se sont transformées et ont émergé les unes à partir des autres par un processus naturel. Même le pape a récemment reconnu ce fait (Jean-Paul II, 1997). Je veux souligner le fait de l’évolution, parce que le fait est souvent confondu avec la théorie. Malheureusement, le mot évolution veut dire au moins quatre choses différentes, trois qu’on considère comme valides et une qui ne l’est probablement pas. Évolution désigne un fait, mais aussi une théorie, puis un parcours, un cheminement particulier. Mais évolution signifie aussi amélioration. Ce dernier sens est sans doute utile dans le langage courant, mais à bannir du discours scientifique de la biologie de l’évolution. Nous en reparlerons plus loin.

Un mot d’abord sur notre relation avec la réalité. La condition humaine est telle que l’on ne peut être sûr de rien hors de tout doute. Il semble qu’on ne puisse échapper à ce doute métaphysique qui découle des limites inhérentes de notre cerveau et de notre raison. Mais si, à cause de ce doute, l’on refuse de considérer que l’évolution est un fait, il faudra également refuser de " croire " le fait que la terre est ronde, qu’elle tourne autour du soleil, que les continents dérivent, que l’eau est faite de deux gaz, que Napoléon a existé, etc. Nous sommes certains de la véracité de ces affirmations hors de tout doute raisonnable, et c’est amplement suffisant pour les considérer comme des faits. L’évolution de la vie est du même ordre.

Voici brièvement ce que les biologistes considèrent comme des preuves que l’évolution est un fait, hors de tout doute raisonnable. Les sept preuves que je vais présenter sont d’autant plus convaincantes qu’elles sont indépendantes les unes des autres ; elles ne sont pas sept façons de dire la même chose et, bien qu’elles soient indépendantes, elles pointent toutes dans la même direction, toutes affirment que l’évolution est un fait. En dehors du doute métaphysique, on ne peut pas espérer mieux que de posséder plusieurs preuves, indépendantes, arrivant à la même conclusion.

Pour résumer ce qui précède, voici ce que je réponds à qui affirme que l’évolution est seulement une théorie et qu’elle n’est même pas prouvée. D’abord, l’évolution n’est pas seulement une théorie, c’est aussi un fait. Ensuite, elle n’est pas prouvée hors de tout doute, mais aucune théorie ne peut l’être, même en physique. Par contre, elle est prouvée hors de tout doute raisonnable, et en ce sens elle est parmi les meilleures théories scientifiques, perfectible, mais très solide.

Une autre façon de considérer les faits présentés est de constater qu’ils sont inexplicables si on ne fait pas appel à l’évolution (Dobzhansky, 1973). En effet, l’évolution explique de nombreuses observations facilement, simplement et de manière très convaincante. De plus, la même idée d’évolution explique tous ces faits, bien qu’ils soient très disparates, concernant les molécules, l’anatomie ou la distribution géographique des espèces. C’est ce qui fait que l’évolution s’impose comme un fait indéniable. Je vais présenter comme des preuves des faits que nous pouvons voir avec nos yeux. Quand nous les interprétons, avec notre cerveau, ces faits nous parlent : ils nous disent que l’évolution est un fait.

LES PREUVES FOSSILES

Les fossiles sont très précieux parce qu’ils sont les seuls objets témoignant de l’existence de la vie passée. Cependant, ce n’est pas seulement l’existence des fossiles dans les roches qui constitue une preuve de l’évolution. En effet, on pourrait toujours dire que ces espèces fossiles ont été créées comme celles qui vivent actuellement, mais qu’elles sont simplement disparues aujourd’hui. Certains prétendent même que ces fossiles ont été créés directement dans les roches et n’ont jamais été vivants. Les fossiles démontrent l’évolution parce qu’en suivant une espèce animale quelconque, comme le cheval ou un escargot, on y voit à travers les couches géologiques successives, des plus profondes aux plus récentes, que la forme animale a changé un peu. On voit bien qu’il s’agit toujours d’un cheval, c’est la même forme générale, mais un peu modifiée ; par exemple, la troisième molaire supérieure est un peu plus grosse ou, dans le cas d’un mollusque, l’enroulement de la coquille est un peu plus serré. Donc, à mesure que le temps passe, le cheval est toujours un cheval, mais sa forme et sa taille ont changé, il a évolué. Et cela est vrai pour chacune des centaines de séquences de fossiles que l’on peut suivre sur une longue période.

Dans ces suites de fossiles, les formes intermédiaires, les " chaînons manquants " sont très importants. En effet, s’il est vrai que la vie a une histoire et que les fossiles en sont la trace, on peut alors faire des prédictions sur les caractères de ces formes intermédiaires qu’on ne connaît pas encore. Or en science, rien n’est plus convaincant que voir une prédiction confirmée. Une science qui énonce et confirme des prédictions est très robuste. En paléontologie, chaque fois qu’une telle prédiction est confirmée par l’observation, c’est-à-dire par la découverte d’un nouveau fossile jusque-là " manquant ", elle constitue une preuve de plus que l’évolution est un fait.

Voici un exemple récent concernant l’évolution des baleines. Depuis très longtemps, les biologistes affirment que les baleines actuelles sont issues de mammifères terrestres. Or, ces derniers ont quatre pattes, alors que les baleines n’ont pas de pattes arrière. Entre les deux on n’avait jamais observé de formes intermédiaires, il y avait là un trou, un " chaînon manquant ". S’il est vrai que les baleines sont le produit d’une évolution à partir de mammifères terrestres, on prédisait depuis longtemps qu’un jour, avec un peu de chance, on allait trouver des fossiles de baleines avec quatre pattes dans les couches géologiques d’environ 45 millions d’années. C’était une prédiction risquée, parce que la ressemblance entre une baleine et un ours, par exemple, sur le plan de la locomotion, est pour le moins très faible. Comme c’est une prédiction risquée, si elle est confirmée, elle constituera une preuve d’autant plus forte.

Or, au cours des dix dernières années, on a trouvé, en Égypte et au Pakistan, plusieurs espèces de baleines (Basilosaurus, Dorudon) pourvues de petites pattes arrière. Si Basilosaurus et Dorudon avaient été créées au lieu d’être le fruit de l’évolution, elles n’auraient eu aucune raison d’avoir de petites pattes ridicules et inutiles pour la marche et même pour la nage.

Cette notion de " chaînon manquant " n’a de sens que s’il est question d’une chaîne, ou d’une suite de fossiles, d’une suite d’événements constituant une histoire. La prédiction de l’existence d’une espèce Y entre les espèces X et Z ne peut être énoncée que si la vie est une chaîne continue. Sinon, il n’y aurait aucune raison qu’ait existé, entre X et Z, une espèce dont les caractères seraient intermédiaires entre ceux de X et ceux de Z, comme une baleine avec des petites pattes ou un lézard avec des plumes à mi-chemin entre les reptiles et les oiseaux. On peut faire deux autres prédictions concernant les séries temporelles de fossiles. Dans une même série, deux fossiles se ressembleront d’autant plus qu’ils sont proches l’un de l’autre dans le temps, et une espèce actuelle ressemblera davantage à un fossile récent qu’à un fossile ancien dans la même série. Ces prédictions, confirmées à des milliers d’exemplaires dans les séries de fossiles connues, peuvent sembler banales et évidentes, mais si l’évolution n’était pas un fait, les fossiles n’auraient aucune raison de se conformer à ces prédictions, ils pourraient se retrouver dans n’importe quel ordre.

Donc, si on regarde une suite de fossiles avec une attitude raisonnable et rationnelle (c’est-à-dire avec sa raison), on doit conclure qu’elle représente l’évolution d’une forme animale. Comme on connaît des centaines de ces suites de fossiles, y compris dans notre propre lignée, il n’est pas extraordinaire de conclure qu’elles constituent une preuve convaincante que les espèces ont évolué ; c’est au contraire une conclusion très raisonnable.

LES PREUVES DE L’EMBRYOLOGIE

Repartons à zéro, faisons comme si nous ne connaissions rien des fossiles ou que nous n’étions pas du tout convaincus par l’histoire des fossiles, pour bien souligner que la preuve tirée de l’embryologie est bien indépendante de celle des fossiles. Même si chaque espèce avait été créée indépendamment et à partir de rien, il n’en demeure pas moins que chaque individu adulte n’apparaît pas comme par magie instantanément et complètement formé. La vie de chaque individu commence par une seule cellule, un ovule fécondé par un spermatozoïde, un zygote. Cette cellule se divise en deux, puis chacune de ces deux cellules se divise en deux, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un adulte complet soit formé avec tous ses organes constitués de milliards de cellules de toutes sortes. Nous pouvons tous observer cela avec nos propres yeux. Ça ne s’est pas passé il y a des millions d’années comme pour les fossiles, ça se déroule sous nos yeux tous les jours.

Ce développement individuel (l’ontogenèse, par opposition à l’évolution ou phylogenèse) est d’ailleurs un des grands " mystères " de la vie : comment cette cellule unique avec son information encodée par la molécule d’ADN dans ses chromosomes devient-elle, sans aide extérieure, un individu entier fait de milliards de cellules de dizaines de formes et de fonctions différentes, organisées en un ensemble équilibré et intégré qui fonctionne si bien ? Ce mystère livre petit à petit ses secrets à mesure qu’avance la biologie du développement.

À mesure que l’embryon se développe, il change de forme, il ne peut pas faire autrement ; pour passer d’une seule cellule à un cheval adulte, par exemple, il faut que cette chose change de forme. Si chaque espèce avait été créée indépendamment et à partir de rien, on devrait s’attendre à ce que ce changement de forme d’un zygote à un cheval adulte suive un parcours tout à fait différent de celui d’un zygote d’une autre espèce, comme celui d’une morue adulte, dont la forme est très différente de celle du cheval ; il ne devrait y avoir aucune ressemblance entre les deux (figure 1). Autrement dit, à partir du début et à chacun des moments du développement de l’embryon de cheval, on devrait observer quelque chose comme un petit cheval qui se développe, et, dans le cas de la morue, on devrait voir une petite morue qui se développe. À part le fait que les deux embryons commencent leur existence individuelle par une seule cellule, leur développement ne devrait avoir presque rien en commun puisque les deux formes adultes sont très différentes.

Au stade zygote, les deux espèces se ressemblent beaucoup dans leur forme dans les deux cas, l’individu n’est qu’une cellule. En A, le modèle représente l’" hypothèse " de la création : même très tôt dans leur développement (au stade 1), les deux embryons sont presque aussi différents l’un de l’autre que le seront les adultes qu’ils sont destinés à devenir. En B, le modèle représente l’évolution : même si les adultes sont très différents, les embryons qu’ils étaient se ressemblent énormément (aux stades 1 et 2). Ces ressemblances ne sont pas explicables en termes fonctionnels puisque les deux embryons se développent dans des conditions très différentes et deviennent des adultes très différents.

Or, le développement des deux embryons a beaucoup de points en commun (figure 2). Le plus frappant est probablement le fait que, à un certain stade de son développement, l’embryon de cheval présente des ébauches de fentes branchiales, comme chez la morue. Plus tard, ces structures disparaissent ou se transforment pour donner autre chose.

Aux fins d’illustration seulement, faisons comme s’il y avait deux explications possibles : la création et l’évolution (en fait, comme nous le verrons plus loin, ce ne sont pas deux hypothèses du même ordre, elles appartiennent aux discours de deux univers qui ne peuvent ni se compléter ni se faire compétition). Dans la première hypothèse, le Créateur a été capable de créer des formes adultes très différentes : morues, poules, tortues, chevaux et humains, mais en ce qui concerne leur développement, il a toujours utilisé le même chemin. Cette uniformité n’était certainement pas nécessaire : s’il était capable de créer des formes adultes aussi différentes que des morues et des chevaux, le Créateur aurait très bien pu créer des parcours de développement tout aussi différents. De plus, ce chemin n’est sûrement pas le plus efficace ; en effet, pourquoi faire passer le développement d’un cheval ou d’un humain par le stade des fentes branchiales, puisque celles-ci ne leur servent jamais à rien, ni aux embryons, ni aux adultes. C’est un détour inutile, nuisible, ni efficace ni élégant, et compliqué sans raison.

FIGURE 2

>> note importante <<>

Transformation des embryons de vertébrés appartenant à cinq classes


On doit cette image classique de la littérature sur l’évolution à Heackel, un biologiste du 19e siècle. Elle représente, très schématiquement, la morphologie des embryons de cinq espèces de vertébrés appartenant à cinq classes différentes, des poissons osseux aux mammifères. Les stades successifs de leur développement embryonnaire pourraient correspondre aux stades 1, 2 et 3 de la figure 1-B. Tôt dans leur développement, les embryons acquièrent les caractères qu’ils ont en commun, ceux qu’ils ont hérités de leur ancêtre commun. À mesure que leur développement progresse, chacun acquiert les caractères qui sont propres à sa classe, puis à son espèce ; si bien qu’à la naissance (peu après le stade 3), ils ne se ressemblent plus du tout. (figure modifiée à partir de Strickberger, 1996).

Dans la seconde hypothèse, si on interprète les faits d’une manière raisonnable, on déduit que si les embryons de la morue, du cheval et de l’humain passent par un stade avec des ébauches de branchies, cela veut dire qu’ils ont évolué à partir d’un ancêtre commun, une sorte de poisson disparue. Les ébauches de branchies chez les embryons des chevaux, des humains et des oies sont une trace de leur histoire commune avec celle des morues, elles sont une preuve qu’ils ont tous évolué à partir d’un ancêtre commun qui avait des branchies. Le cheval et la morue sont deux branches distinctes aujourd’hui, mais si on remonte assez loin dans le passé, on va trouver qu’ils ont un ancêtre commun, ils sortent du même tronc, et les caractères qu’ils ont en commun au début de leur développement embryonnaire sont hérités de cet ancêtre commun : ils sont une preuve que ces deux espèces ont un ancêtre commun, qu’elles ont une histoire et que leurs histoires respectives ne sont pas parallèles ni indépendantes, mais divergentes à partir d’un point commun.

LA CURIEUSE EXISTENCE DES ORGANES VESTIGIAUX

Chez les adultes, cette fois-ci, il existe des organes qui ne servent à rien, des modèles réduits et parfois déformés ou rabougris d’organes situés au même endroit chez d’autres formes, chez lesquelles ils servent une fonction. Par exemple, l’appendice et le coccyx chez l’humain, le bassin minuscule des baleines ou de certains serpents (figure 3). Notre coccyx est un vestige de la queue de nos ancêtres primates très lointains, notre appendice est un vestige du cæcum des mammifères herbivores chez qui il est un site de fermentation des plantes leur permettant de digérer la cellulose.

Encore ici, cette preuve est indépendante des deux autres, elle n’a aucun rapport avec les fossiles ni avec l’embryologie. L’existence de ce bassin et de ce fémur minuscules et rabougris chez les baleines ou chez les serpents indique que ces animaux ont évolué à partir d’ancêtres qui avaient des pattes. Si le cheval actuel avait été créé tout d’un coup et à partir de rien, pourquoi le Créateur lui aurait-il laissé de petits doigts latéraux réduits à des baguettes minces, immobiles et sans contact avec le sol ? Pourquoi avoir créé ces petits os inutiles, et justement à cet endroit ? Ils ne sont ni efficaces ni élégants. La seule explication raisonnable est que le cheval actuel, pourvu d’un seul doigt fonctionnel, a évolué à partir d’ancêtres à trois et à quatre doigts et que ces doigts latéraux n’existent maintenant qu’à l’état de vestige. Ces traces nous offrent un témoignage de cette histoire ; elles constituent une preuve qu’il y a vraiment eu une histoire.

FIGURE 3

Caractères vestigiaux chez le cheval et chez les baleines


Cette baleine actuelle, dont les ancêtres ont perdu depuis longtemps leurs membres postérieurs, en garde encore quelques vestiges qui représentent ce qu’étaient le bassin (pelvis) et le fémur (os de la cuisse) des ancêtres encore plus lointains qui étaient terrestres et quadrupèdes. Chez le cheval actuel, chaque membre est pourvu d’un seul sabot qui termine son unique doigt, le majeur ou doigt numéro 3. On observe, par contre, à chaque main et à chaque pied de petites baguettes osseuses qui sont des vestiges des doigts qui étaient complets et fonctionnels chez les ancêtres, (figure modifiée à partir de Luria, Gould et Singer, 1981).

LES PREUVES FOURNIES PAR L’ANATOMIE COMPARÉE

Les comparaisons fines que l’on peut faire entre les espèces de vertébrés révèlent des ressemblances remarquables. Un exemple éloquent est le squelette des membres de divers vertébrés, par exemple l’aile d’une chauve-souris, le bras d’un humain, la nageoire d’une baleine et la patte d’une grenouille (figure 4). Ces ressemblances remarquables au niveau du squelette, bien que la forme et la fonction des membres varient énormément, constituent une preuve que toutes ces espèces ont évolué à partir d’un ancêtre commun qui leur a donné en héritage la même structure squelettique de leurs membres.

Faisons encore comme si la création était une hypothèse alternative à l’évolution. Si le Créateur avait voulu construire la meilleure nageoire pour nager, la meilleure patte pour creuser ou courir, la meilleure aile pour voler et le meilleur bras pour lancer une balle ou écrire, pourquoi se serait-il astreint à n’utiliser que les mêmes os, dans le même ordre, se forçant ainsi à les déformer et à les tordre de façon aussi extrême ? C’est comme si Francis Cabrel s’était astreint à composer toutes ses chansons avec les mêmes sept ou huit mots toujours dans le même ordre, n’en modifiant que l’accent.

FIGURE 4

Homologie du squelette du bras de sept vertébrés



Peu importe la taille du membre, sa forme ou sa fonction, son squelette est presque exactement le même. Dans tous les cas, que ce soit la patte d’une grenouille ou le bras d’un humain, le squelette est constitué des mêmes os, placés dans le même ordre. ÇA : carpes, l’ensemble des petits os du poignet, CU : cubitus, HU : humérus, RA : radius, 1 : pouce ou doigt numéro 1. (Ces membres ne sont pas dessinés à la même échelle ; ainsi, celui d’une baleine peut être jusqu’à 200 fois plus long que celui d’une chauve-souris.) (figure modifiée à partir de Strickberger, 1996)

La nageoire des baleines est particulièrement exemplaire. Le squelette de mon bras est fait de trente os, qui constituent dix-sept articulations, toutes très mobiles, de l’épaule jusqu’au bout des doigts. La nageoire d’une baleine est, elle aussi, faite des mêmes trente os (plus quelques autres dans les doigts dans certains cas). Ils forment aussi les mêmes dix-sept articulations, mais une seule est mobile, celle de l’épaule, entre l’humérus et l’omoplate. Les seize autres sont tout à fait figées, ankylosées en permanence. L’évolution explique très bien cette structure de la nageoire. La baleine a besoin d’une sorte de rame, mobile mais rigide. Mais comme elle descend d’un ancêtre pourvu d’un bras comme le nôtre, le sien est fait des mêmes os et des mêmes articulations placés dans le même ordre. Pour en faire une rame, la sélection a dû figer seize des dix-sept articulations, alors que la nageoire des baleines aurait été bien mieux conçue et bien plus simple si elle avait été faite d’un seul os, par exemple.

Dans le contexte du créationnisme, le squelette de la nageoire d’une baleine n’a pas de sens. Il est inexplicable en termes logiques ou fonctionnels, mais tout à fait explicable en termes évolutifs ou historiques. En effet, l’interprétation la plus raisonnable de cette structure commune à tous les vertébrés est que toutes ces espèces ont évolué à partir d’un ancêtre commun ; elles ne sont que le produit de transformations à partir d’un même modèle ayant existé dans le passé. Cette structure commune, cette homologie, est une trace de l’histoire, une preuve de l’évolution, une preuve de la transformation et de la parenté de ces espèces.

LES IMPERFECTIONS DE LA NATURE

Les organes vestigiaux, tout comme le squelette de la nageoire des baleines, sont des imperfections de la nature. Leur existence n’est explicable qu’en termes de fardeau historique dont les espèces actuelles ont hérité. Ces imperfections constituent donc des preuves de l’évolution. Il faudrait un argument tordu pour justifier leur existence dans l’œuvre d’un Créateur. Si l’on croit en la création, pour prouver l’existence d’un Créateur, on cite les adaptations les plus spectaculaires de la nature, perçues comme des exemples de perfection dont la conception et la performance sont dignes de l’intelligence du Créateur.

Pour qui " croit " en l’évolution, les imperfections de la nature sont beaucoup plus parlantes. Prenons l’exemple préféré des créationnistes :

l’œil d’un vertébré. Il s’agit sans contredit d’un organe absolument remarquable, qui rivalise de complexité et de performance avec la plus haute technologie actuelle. Mais cet œil est affligé d’une imperfection criante.

En effet, les cellules sensibles de la rétine, soit les cônes et les bâtonnets, sont montées à l’envers. Ces cellules allongées ont une extrémité sensible à la lumière, alors que l’autre se prolonge en un filament nerveux qui transmet l’excitation lumineuse jusqu’au cerveau par le nerf optique. Or, l’extrémité sensible ne pointe pas vers l’extérieur de l’œil, comme elle le ferait dans une construction intelligente, mais vers le fond de l’œil. Cet arrangement crée trois inconvénients majeurs. D’abord, les filaments nerveux, et les vaisseaux sanguins qui y sont associés, constituent un voile qui couvre la rétine au fond de l’œil et qui atténue la lumière qui doit le traverser et qui doit traverser toute la longueur des cônes et des bâtonnets avant de toucher leur extrémité sensible. Le problème d’atténuation lumineuse est partiellement corrigé par l’existence, derrière la rétine, d’une surface réfléchissante, le tapetum lucidum, qui retourne vers les cônes et les bâtonnets une partie de la lumière qui les a traversés. On voit l’effet de ce miroir dans les yeux d’animaux nocturnes éclairés par une lumière dans la nuit.

Deuxièmement, tous les filaments nerveux courent sur la rétine dans l’œil et convergent vers un même point avant de plonger à travers la rétine pour constituer le nerf optique, qui va au cerveau. Cette disposition crée, au point de convergence, une tache aveugle, qui ne sert à rien, qui n’est qu’une conséquence néfaste du montage inversé des cônes et des bâtonnets. Enfin, comme les filaments sont tournés vers l’intérieur de l’œil, l’arrière de la rétine n’est pas retenu contre le fond du globe oculaire. Cette structure explique le décollement de la rétine qui afflige de nombreuses personnes.

L’œil des vertébrés aurait pu être autrement. En effet, dans l’œil de la pieuvre, qui globalement ressemble beaucoup au nôtre, les cellules sensibles sont montées à l’endroit. Si les nôtres sont à l’envers, c’est que nous venons d’ancêtres différents de ceux de la pieuvre et que, pour des raisons inconnues, les cellules sensibles à la lumière de nos ancêtres étaient tournées vers l’intérieur de ce que devaient être leurs yeux simples et primitifs. Ils nous ont transmis ce caractère, qui se révèle être un défaut, avec lequel nous devons composer, dans notre œil complexe et sophistiqué. Une telle imperfection flagrante dans un organe aussi spectaculaire ne peut découler que d’une évolution, contrainte par l’héritage du passé. Il n’y a rien comme une imperfection pour révéler la vérité.

LES PREUVES MOLÉCULAIRES ET GÉNÉTIQUES

C’est peut-être à l’échelle moléculaire que se manifeste le plus clairement, de nos jours, la preuve que l’évolution est un fait. Le monde vivant est caractérisé à la fois par sa diversité apparente et par son unité sous-jacente. Cette dualité est peut-être le caractère évolutif le plus fondamental de la vie, et on la retrouve à tous les niveaux. À l’intérieur d’une même espèce, chez l’humain, par exemple, il y a une infinie diversité : il n’y a pas deux individus identiques (même les jumeaux identiques génétiquement présentent de petites différences anatomiques). Mais au-delà de cette grande diversité existe aussi une grande unité : nous avons tous la même forme générale, le même squelette dans les moindres détails, les mêmes dents, des veines, des artères et des nerfs qui se ramifient presque exactement de la même manière d’une personne à l’autre, etc. Nous avons beaucoup plus de points communs, de ressemblances, que de différences.

À une autre échelle, une même famille taxonomique présente de nombreuses formes différentes. Ainsi, les cervidés comprennent le petit pudu de 5 kg, d’Amérique du Sud, dont les bois sont de la taille d’un petit crayon, des espèces sans bois, et l’orignal de 500 kg avec un panache de 25 kg. Et pourtant, malgré cette grande diversité, on observe une grande unité parmi toutes ces espèces, elles ont toutes de nombreux caractères en commun, et ces caractères n’étant possédés par aucune autre espèce, on regroupe ces espèces dans la même famille. Elles ont en commun l’ossature des pattes, la forme et le nombre des dents, la forme du placenta et du système digestif, la durée de la gestation (autour de 200 jours), malgré une variation de 5 à 500 kg de la masse corporelle.

De même, à l’échelle de tout le monde vivant, il y a des bactéries et des baleines, des amibes et des éléphants, des érables et des morues, des huîtres et des humains. Malgré cette immense diversité, tous ces organismes présentent une remarquable unité de structure et de fonction au niveau génétique et moléculaire. Ils portent tous les mêmes acides nucléiques et les mêmes protéines composées des mêmes éléments de base (acides aminés), leurs gènes sont tous des formes de la même molécule d’ADN, le code génétique est le même, les mêmes enzymes interviennent dans des réactions semblables pour tous.

Encore une fois, ou bien le Créateur a été capable d’inventer des millions d’espèces différentes, mais n’a pu créer qu’un seul code génétique et une seule série d’acides aminés qu’il a donnés à tout le monde, ou bien le fait que nous ayons le même code génétique que les érables, les huîtres et les éléphants veut dire que nous sommes parents, que nous sommes tous le produit d’une transformation d’un même ancêtre commun, que nous sommes le produit d’une évolution.

LES PREUVES EXPÉRIMENTALES EN LABORATOIRE OU SUR LE TERRAIN

Depuis environ cent ans, on a montré, en laboratoire, qu’on pouvait changer plusieurs caractères mesurables des bactéries et des mouches drosophiles, par exemple. De même, en quelques milliers d’années d’élevage sélectif, l’humain a changé plusieurs caractéristiques des espèces qu’il a domestiquées. Ces faits démontrent que les espèces peuvent être modifiées, qu’elles peuvent évoluer. C’est une preuve directe, expérimentale que les espèces peuvent être transformées, qu’elles ne sont pas immuables. L’existence même du grand nombre de races de vaches ou de chiens appartenant à la même espèce et produites par sélection artificielle en relativement peu de temps par l’humain contredit l’affirmation voulant que les espèces soient immuables. Il en est de même des formes de bactéries qui, au cours des dernières années, sont devenues résistantes à nos antibiotiques.

LES PREUVES DE LA BIOGÉOGRAPHIE

La distribution géographique actuelle des espèces est révélatrice de leur histoire. Ainsi, les espèces de plantes et d’animaux qui ressemblent le plus à celles des îles Galápagos sont des espèces vivant en Équateur, la terre ferme la plus proche, à environ 1000 km. Cette distribution géographique suggère fortement que des espèces de l’Équateur ont émigré jusqu’aux Galápagos et s’y sont transformées sous des conditions légèrement différentes. Si toutes les espèces avaient été créées indépendamment les unes des autres, alors pourquoi le Créateur aurait-il placé tous les marsupiaux en Australie et aucun en Afrique ? Ou pourquoi avoir placé tous les lémurs à Madagascar, ou tous les singes à queue préhensile en Amérique du Sud, ou aucun ours en Afrique ? Ça semble des caprices sans raisons. Rien dans le climat australien ne permet de croire qu’une poche marsupiale est avantageuse seulement dans cette île ; rien dans la structure ou l’écologie des forêts d’Amérique du Sud n’oblige à porter une queue préhensile plus qu’en Asie ou en Afrique.

Ces distributions géographiques selon lesquelles les espèces qui se ressemblent se rassemblent indiquent que ces dernières ont évolué à partir d’ancêtres communs ayant émergé à un endroit particulier. Tout comme la distribution des Tremblay au Québec il y a cinquante ans. L’alternative serait que le Créateur n’aurait pas distribué ses créatures n’importe où, mais aurait placé, sans raison, les espèces les plus semblables tout près les unes des autres, et mis une distance de plus en plus grande entre les espèces de moins en moins semblables. L’évolution explique très bien toutes ces distributions géographiques à première vue fantaisistes et mystérieuses.

CONCLUSION

Toutes les autres explications qu’on pourrait tenter de formuler pour les sept observations que l’on vient de voir sont beaucoup moins plausibles, moins convaincantes et parfois carrément farfelues. L’évolution explique d’une manière simple, convaincante et cohérente toutes ces observations diverses.

Il semble donc très clair que, si nous regardons la nature avec notre cerveau, c’est-à-dire avec notre raison et avec un esprit critique, et non pas seulement avec nos yeux, toutes ces preuves montrent, hors de tout doute raisonnable, que l’évolution est un fait, que la vie a une histoire, qu’à partir de l’origine de la vie les espèces se sont formées et transformées et qu’elles ont émergé les unes des autres.

Ce fait intriguant, spectaculaire, incroyable même étant désormais admis, on veut tenter de l’expliquer. On veut formuler une ou plusieurs théories pour expliquer cette incroyable évolution. Ici les biologistes s’entendent moins bien, la question est plus difficile que de simplement constater le fait.

Source:viaveritas

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